La voiture allait vite. Je riais, mais mon rire semblait tellement lointain... Parce que malgré la blague que venait de lancer mon frère, j'avais soudain l'impression que je savais ce qui allait se passer. Que j'avais déjà vécu cette scène. Une voiture, en face, arriva bientôt. Bien trop rapidement... L'impact fut brutal. Je pleurais déjà. Mon maquillage dégoulinait en torrent glacés sur mes joues. La voiture venait de valser dans le décor. Je savais déjà ce qui allait arriver... L'arbre. Un deuxième impact. Pas le dernier... Le pare-brise avait explosé, des morceaux de verre me lacéraient les mains. Il y eut un craquement... L'arbre se cassait. Et tombait droit sur le reste de la voiture. Mon cri se perdit dans le fracas provoqué par la chute de l'arbre. Toutes les vitres explosèrent. La douleur me transperça, et j'eus l'impression que tout était fini.
Lorsque j'ouvris les yeux, je pleurais toujours. Ce souvenir dont chaque détail était gravé indélébilement en moi datait de plusieurs années à présent. Même dans cette école, où j'étais devenue plus forte, plus résistante, je me le remémorais. Et quand je commençais à oublier, comme pour me punir, je revivais toute la scène en rêve. Je me massais le crâne doucement. Il était très tôt, le dortoir était encore endormi. Je pris une douche rapide et glacée pour me réveiller, mis le premier vêtement qui me tomba sous la main - c'est-à-dire une robe bleue bustier qui tombait juste en dessus de mes genoux - et m'attaquais au maquillage. Il m'avait longtemps aidé à masquer les cernes que provoquaient mes cauchemars, même si vampire, j'étais bien plus en forme qu'avant. Avant...

Prête, je décidais de me changer les idées en me promenant dans les couloirs encore déserts de l'école, à la recherche d'un semblant de zénitude. Mais les couloirs n'étaient pas si déserts que ça...
Je stoppais net en le repérant. Il était encore à plusieurs mètres, mais m'avait déjà repérée. Inutile de se défiler. Je m'obligeais à respirer avant de m'approcher de lui. Ne me demandez pas pourquoi il se promenait en caleçon dans les couloirs, mais toujours est-il que, le voyant si peu vêtu, je me sentis rosir. Moi qui parviens à garder un masque totalement impassible - il me rendais complètement folle. Je perdais presque tous mes moyens en l'apercevant. Presque. C'était tellement étrange - pendant un temps, j'étais simplement attirée par lui et le mystère qui semblait flotter autour de lui ; et puis cette attirance avait été multipliée par dix en quelques jours, jusqu'à ce que j'éprouvais à présent. Une sorte de folle envie de l'embrasser à chaque fois qu'il passait à côté. Le pire était qu'il semblait parfaitement conscient de ce charme qu'il exerçait et de la force que je mettais à lui résister. Il jouait beaucoup trop avec ça à mon goût. Est-ce cela, l'amour ? Je n'en ai aucune idée, mais ça a l'air d'y ressembler... Non, pas du tout... Je ne pensais pas à lui en permanence, ne griffonnait pas trop son nom, du moins pas sur tous mes cahiers... Non. En fait, c'était dès que je le voyais que je semblais me rappeler combien il était beau... Tss, n'importe quoi. Le manque de sommeil... J'espère.

« Hey, Anastasia ... Ne me regarde pas comme ça ! Tu me gênes ! »

Son sourire et son regard étaient pourtant sans équivoque - il n'éprouvait aucune gêne à exposer ainsi son corps d'athlète. Je m'obligeais à détourner le regard devant ses muscles parfaitement dessinés, ce non sans difficulté.

« Le fait que je te regarde te gêne?» répondis-je avec un sourire.

Je n'osais pas ajouter que lui ne se gênait pas pour me regarder. Parce que j'en étais flattée ? Heureuse? C'était parfaitement absurde... J'avais envie de faire demi-tour, mais j'étais comme happée, attirée par son sourire et je ne parvenais pas à m'en détacher... Stop stop stop. N'importe quoi. Il ne fallait absolument pas qu'il voie dans quel état mental j'étais; il fallait trouver quelque chose à dire...

« Il faut dire que tu as quand même de drôles d'idées ; tu sais, ce n'est pas très courant les marches matinales en caleçon...»